L’utilisation de la vidéo comme outil d’intervention :
L’utilisation de la vidéo comme outil de prise en charge de la relation parent/bébé dans la clinique de la parentalité est de plus en plus courante (Steele et al., 2014).
La vidéo-intervention ou vidéo feed-back ou vidéothérapie peut être utilisé dans différents types de settings (guidance parentale, consultation de PMI, psychothérapie maman-bébé, VAD).
Il s’agit de réaliser (sous réserve d’un consentement de la part des parents) un enregistrement vidéo d’une courte observation des interactions entre un parent et son bébé/enfant lors de jeux libres, d’un bain, d’un change, d’un repas, d’une consultation etc. afin de pouvoir observer à un niveau micro analytique (seconde par seconde, avec la possibilité de ralentir, revenir en arrière) les échanges interactifs entre ces derniers. Cette observation se fait alors conjointement avec le clinicien et le parent dans un second temps après l’enregistrement.
L’utilisation de la vidéo permet, en effet, en changement de position du clinicien qui passe alors d’une position haute qui observe, voit, juge (en tout cas du point de vue de l’expérience qu’en fait souvent le parent) à une position d’égal à égal favorisant la collaboration parent-clinicien et menant à un « voir ensemble » (Guedeney, Guedeney 2010) qui renforce considérablement l’alliance thérapeutique.
Pourquoi l’utiliser la vidéo dans la clinique de la parentalité ?
Les interactions parent-bébé se déroulent dans l’ici et maintenant, avec une certaine rapidité et elles sont composées de multitudes de petits signaux parfois extrêmement subtils et dont il est difficile de prendre conscience dans l’immédiateté de l’interaction, d’autant que leur traitement par le cerveau, en tant qu’information relationnelle, possède un caractère préconscient, procédural.
Ainsi, la richesse de l’information qu’elles contiennent ne peut pas être appréhendée par l’observateur en temps réel, que celui-ci soit le parent (expert de son enfant) ou le clinicien (expert en observation) (Beebe, 2014).
Aucun clinicien, même très expérimenté et formé, ne peut prétendre tout voir.
L’observation menée sans l’aide de la vidéo sera toujours biaisée et sujette à interprétation subjective du fait des processus mentaux sous-jacents à l’observation (performance visuelle, concentration, performance de la mémoire de travail, état de fatigue, biais cognitifs et affectifs).
L’utilisation de la vidéo permet de limiter ces biais et offre la possibilité aux parents de participer entièrement au processus d’observation en le mettant à distance, sans le « stress » de devoir s’occuper de leur enfant simultanément. C’est cette position qui va considérablement renforcer les compétences de mentalisation et la fonction réflexive dont on sait qu’elles ont une fonction protectrice dans la qualité de lien parent/enfant et donc dans la santé mentale du parent et du bébé. (Fonagy, & Target, 2005)
Un certain nombre d’approches utilisant la vidéo en guidance parentale ou en thérapie ont déjà été développées. On peut citer le Cercle de Sécurité (Powell, Cooper, Hoffman, Marvin,2013), le VIPP (Kalinauskiene, Cekuoliene, Van IJzendoorn, Bakermans‐Kranenburg, 2009), Theraplay (Booth & Jernberg, 2009)…
Une méta-analyse de 81 études, avec 51 recherches sur des interventions contrôlées dont l’objectif était de promouvoir la sensibilité maternelle, a démontré que l’utilisation de la vidéo avec les parents est très efficace et montre de bons résultats même après très peu de séances d’intervention à l’aide de la vidéo (Bakermans-Kranenburg et al., 2003).
Mais pourquoi parler de la vidéo intervention en lien avec la formation à la détection et à l’évaluation du retrait relationnel chez le bébé avec l’ADBB ?
Parce que se former à l’ADBB et filmer les observations à des fins d’évaluation du retrait relationnel est une première bonne étape pour commencer à intégrer la vidéo dans les pratiques cliniques.
En effet, la formation ADBB se base déjà sur l’utilisation d’enregistrement vidéo et, dans le cadre de l’apprentissage à la détection du retrait relationnel chez le bébé, vous serez conduit dans un processus de réflexion et de mentalisation d’une manière assez similaire à ce que l’on peut faire avec les parents en séance de vidéo intervention. C’est donc une première façon de faire l’expérience de la vidéo intervention dans un contexte enrichissant, sécurisant et en lien avec votre pratique clinique.
De plus, l’ADBB vous apprend à vous centrer sur le signal d’engagement relationnel du bébé et donc sur les différentes modalités de l’interaction (visuelle, vocale, comportementale).
Ainsi, vous possédez, à l’issue de la formation, une grille d’observation et un vocabulaire clair et simple qui vous permettra non seulement de penser (mentaliser) ce que vous observez, mais aussi de pouvoir le communiquer de façon simple et explicite à quelqu’un non-expert qui pourrait être le parent.
Vous savez aussi, à la fin de la formation, repérer quand un bébé s’engage et quand il ne s’engage pas ou se renferme. Cela vous permet aisément de repérer les moments positifs de l’interaction (même si parfois il faut chercher un peu :)) pour les montrer aux parents. En effet, lorsque l’on utilise la vidéo en clinique, parmi les premières choses à faire avec les parents, la plus efficace et la moins risquée est de leur montrer le positif, les moments d’accordage affectif, de miroring, de partage mutuel, de satisfactions, les moments de l’interaction qui fonctionnent. Se centrer d’emblée sur le positif va permettre de renforcer positivement le parent qui est souvent en détresse ou se sent vulnérable. Il est en effet extrêmement difficile de devoir demander de l’aide pour son enfant ou de devoir la recevoir. Cela va permettre aussi de travailler à restaurer un narcissisme parental et une compétence parentale souvent mise à mal en montrant ce qui fonctionne avec le bébé et que le parent, dans sa difficulté, a parfois du mal à percevoir, et enfin de renforcer l’alliance thérapeutique avec le clinicien.
La formation à l’évaluation du retrait relationnel et l’utilisation de l’ADBB avec le soutien de la vidéo est donc une bonne première approche à l’intégration de cet outil puissant qu’est le vidéo feedback dans la clinique de la parentalité (mais qui requiert néanmoins de prendre le temps de se former complètement pour pourvoir approfondir son utilisation), d’autant plus que l’outil est bien validé et demande peu de formation (4 jours en présentiel ou 36 h de formation en ligne).
Pour aller plus loin, voici les références des articles cités sur l’utilisation de la vidéo en clinique :
- BAKERMANS-KRANENBURG M.J., VAN IJZENDOORN M.H., JUFFER F.: « Less is more: meta-analysis of sensitivity and attachment interventions in early childhood. », Psychological Bulletin, 2003 ; 129 (2) : 195-215.
- BEEBE B. ‘My journey in infant research and psychoanalysis: Microanalysis, a social microscope. ’, Journal of Psychoanalytic Psychology, 2014, 31: 4–25.
- BEEBE B., STEELE M. ‘How does microanalysis of mother-infant communication inform maternal sensitivity and infant attachment?’, Attachment & Human Development, 2013; 15: 583–602.
- Booth, P. B., & Jernberg, A. M. (2009). Theraplay : Helping parents and children build better relationships through attachment-based play. John Wiley & Sons.
- Facchini, S., Martin, V., & Downing, G. (2016). Pediatricians, Well-Baby Visits, and Video Intervention Therapy: Feasibility of a Video-Feedback Infant Mental Health Support Intervention in a Pediatric Primary Health Care Setting. Frontiers in psychology, 7, 179.
- Fonagy, P., & Target, M. (2005). Bridging the transmission gap: An end to an important mystery of attachment research?. Attachment & Human Development Volume 7, 2005 – Issue 3
- GUEDENEY A., GUEDENEY N. ‘The era of using video for observation and intervention infant mental health’, The Signal, 2010; 18 (2):1–5.
- Kalinauskiene, L., Cekuoliene, D., Van IJzendoorn, M. H., Bakermans‐Kranenburg, M. J., Juffer, F., & Kusakovskaja, I. (2009). Supporting insensitive mothers: the Vilnius randomized control trial of video‐feedback intervention to promote maternal sensitivity and infant attachment security. Child: Care, Health and Development, 35 (5), 613–623.
- POWELL B., COOPER G., HOFFMAN K., MARVIN B. The circle of security intervention New York, Ny: Guildford Press.
- STEELE M., STEELE H., BATE J., et al. ‘Looking from the outside in: the use of video in attachment-based interventions’, Attachment & Human Development, 2014; 14 (4): 402–415.