Les bébés qui ont été exposés à des situations de négligences ou de maltraitantes sont souvent placés en famille d’accueil ou en institution pour leur propre sécurité. Les professionnels de la protection de l’enfance sont confrontés à des défis importants pour comprendre et accompagner les réactions de ces bébés, qui peuvent être complexes et variées. En effet, les bébés sont des êtres en développement rapide, dont le cerveau est particulièrement vulnérable aux traumatismes. Ils sont également dépendants des adultes pour répondre à leurs besoins fondamentaux, tels que l’alimentation, le sommeil et la sécurité.1 Il est important pour les professionnels de la protection de l’enfance de comprendre les réactions des bébés dans ces situations, afin de mettre en place les meilleures pratiques pour les accompagner, répondre à leurs besoins et ainsi protéger le développement de leur cerveau et donc leur santé mentale à court, moyen et long terme. Les réactions des bébés lorsqu’ils sont placés suite à des faits de négligences ou de maltraitance peuvent varier en fonction de l’âge du bébé, de son expérience de vie antérieure et de la qualité des soins qu’il reçoit dans sa nouvelle famille d’accueil ou dans l’institution de placement. Les bébés placés peuvent présenter des signes de détresse émotionnelle tels que des pleurs, des troubles du sommeil, une alimentation difficile, une diminution de la communication verbale et non verbale, ainsi qu’un manque d’intérêt pour les activités sociales et ludiques.2
Il est important que les professionnels de la protection de l’enfance qui travaillent avec des bébés placés soient formés pour comprendre ces réactions et y répondre de manière appropriée. Les interventions doivent être individualisées et adaptées aux besoins de chaque bébé, en prenant en compte leur expérience de vie antérieure et leur contexte actuel. Certaines interventions ont été proposées dans la littérature pour aider les bébés placés à s’adapter à leur nouvel environnement. Les programmes d’intervention précoce, tels que les interventions de stimulation précoce et les interventions psychothérapeutiques, peuvent être efficaces pour réduire les symptômes de stress post-traumatique chez les bébés placés. 3 Il est également important que les familles d’accueil et les institutions de placement soient formées pour comprendre les besoins spécifiques des bébés placés et pour offrir un environnement sûr et sécurisant. Les professionnels doivent encourager une relation d’attachement de qualité entre le bébé et ses soignants, en offrant une disponibilité émotionnelle et en répondant de manière appropriée aux besoins du bébé. La théorie de l’attachement (Bowlby 1969) 4 et ses apports ne fait plus question aujourd’hui. On le sait désormais, les bébés qui ont été exposés à des situations de négligences ou de maltraitance peuvent avoir des difficultés à établir des liens d’attachement sécurisants avec les adultes, ce qui peut entraîner des conséquences à long terme sur leur développement.5 C’est un peu comme s’ils transportaient avec eux, dans leur biologie, dans leur corps et dans leurs attentes vis à vis du monde, un bagage qui conditionne le futur si on n’y prend pas garde. Il nous faut donc être vigilant et informé. Dans la suite de ce texte, nous allons proposer des idées pour répondre aux défis que pose l’accompagnement des bébés placés.
La première étape consiste ainsi à penser les processus d’évaluation les réactions des bébés face à la séparation d’avec leurs parents.
En effet, la séparation peut être vécue comme un traumatisme pour le bébé, qui peut éprouver des sentiments d’angoisse, de peur, de tristesse et d’abandon.6 Les bébés qui ont été exposés à des situations de négligences ou de maltraitance peuvent également présenter des troubles du comportement tels que des troubles du sommeil, des pleurs excessifs, des refus alimentaires ou des difficultés à se calmer.7 Cela va permettre de définir les besoins spécifiques de ces bébés confrontés à l’adversité et de mettre en place des plans d’intervention sur mesure. Pour cela, il est essentiel de disposer des outils les plus efficaces pour évaluer les besoins et les réactions des bébés placés. L’Echelle ADBB (Alarme Détresse Bébé)8 est un outil d’évaluation qui a été conçu pour aider les professionnels à évaluer la détresse des bébés et à identifier les signes de souffrance psychique en se basant sur le concept de retrait relationnel chronique. L’utilisation régulière de l’Echelle ADBB peut aider les professionnels à détecter les signes de détresse et à mettre en place les interventions nécessaires pour soutenir le bébé, monitorer l’efficacité des interventions, l’effet du placement avant même que des symptômes développements importants ne soient mesurables. Cela permet aussi de communiquer avec les professionnels prenant en charge le bébé et notamment la famille d’accueil ou la personne de référence en pouponnière et de les rendre sensibles aux signaux du bébé dont ils ont la charge. Des études ont montré que l’utilisation de l’Echelle ADBB peut améliorer la qualité de la prise en charge des bébés placés notamment en pouponnière en permettant une meilleure compréhension de leur expérience.9 Il a été aussi démontré que l’Echelle ADBB renforce le sentiment de compétence des professionnels quand à la détection et la prise en compte de la souffrance psychique du bébé. 10
La deuxième étape : l’intervention
Pour accompagner les bébés qui viennent d’être placés, il est recommandé de mettre en place des pratiques de soin qui favorisent la sécurité affective, la continuité et la stabilité de l’environnement, la régulation émotionnelle. 11 Les professionnels de la protection de l’enfance doivent veiller à ce que les bébés soient pris en charge par des adultes compétents et bienveillants, qui peuvent répondre à leurs besoins de manière sensible et prévisible. 12 Le contact physique est également important pour les bébés, qui ont besoin d’être tenus, caressés et réconfortés pour se sentir en sécurité.13 Ainsi, introduire des pratiques de portage, de massage bébé, d’alimentation thérapeutique et de jeux thérapeutiques spécifiques à cet âge, fournit non pas, par un spécialiste comme un psychologue, mais bien par le donneur de soin présent quotidiennement est une prise en charge à l’efficacité fabuleuse. Il est également important pour les professionnels de la protection de l’enfance de travailler en collaboration avec les parents des bébés. Les parents peuvent être impliqués dans le processus de soin, par exemple en participant à des visites régulières avec leur bébé et en travaillant avec les professionnels de la protection de l’enfance pour mettre en place des stratégies de soin adaptées à leurs besoins. Cette collaboration peut aider à renforcer leurs sensibilités aux signaux du bébé, leur compétence parentale de co-régulation émotionnelle. 14
L’importance de l’observation et de la prise en compte des facteurs contextuels Lorsqu’un bébé est placé suite à des faits de négligence ou de maltraitance, il est important de considérer les facteurs contextuels qui ont pu influencer son développement et ses réactions. Les expériences précoces de vie, telles que la qualité des relations avec les parents, la sécurité affective, le niveau de stress et les conditions de vie, ont toutes des effets sur le développement du bébé et sa capacité à réguler ses émotions. Il est à remarquer que l’observation de l’enfant dans son contexte de vie ( repas, bain, change, jeu..) peut fournir des informations précieuses sur les interactions et les relations avec les parents, ce qu’il a déjà construit comme représentation mentale sur ce qu’il peut attendre du monde qui l’entoure, ainsi que sur les facteurs de stress présents dans l’environnement. La nécessité de l’attachement et de la continuité des soins Nous l’avons déjà mentionné, mais il est toujours utile d’insister sur ce sujet car « Les expériences qui ont eu lieu dans le contexte d’une relation émotionnelle peuvent seulement être réparées dans le contexte d’une relation émotionnelle » (Alan Shore). L’attachement est crucial pour le développement du bébé et sa capacité à réguler ses émotions. Lorsqu’un bébé est placé, il perd sa ou ses principales figures d’attachement, générant en cela une détresse importante même si l’attachement était très insécure. Cela reste la perte de la personne sur laquelle le bébé avait commencer à organiser sa psyché. Cela peut peut entraîner des réactions d’anxiété et de détresse bruyantes ou même des réactions de figement, d’indifférence apparentes qui néanmoins génèrent un stress biologique et donc un coût pour le bébé. Il est donc important de favoriser la continuité et la qualité des soins avec une figure d’attachement stable et toutes les fois où cela est possible et que cela n’est pas délétère pour le bébé et son développement, de maintenir les liens avec les parents le plus souvent possible. Plusieurs études ont montré que la qualité des soins fournit après un placement est essentielle pour la santé émotionnelle et comportementale du bébé à long terme. Une étude menée par Egeland et Erickson a montré que les enfants qui avaient bénéficié de soins de qualité après un placement avaient des niveaux de cortisol (l’hormone du stress) plus faibles que ceux qui n’en avaient pas bénéficié, suggérant une régulation émotionnelle plus efficace.15 Des études ont montré que la qualité de la relation d’attachement entre le bébé et ses soignants est un facteur important pour la résilience et le développement psychologique du bébé placé. La théorie de l’attachement souligne l’importance de la sécurité émotionnelle pour la régulation émotionnelle et le développement socio-affectif du bébé. Des études ont également montré que les interventions qui visent à améliorer la qualité de la relation d’attachement entre le bébé et ses soignants peuvent réduire les symptômes de stress post-traumatique et favoriser le développement socio-affectif du bébé.16
L’importance de la communication et de la collaboration interprofessionnelle Enfin, la communication et la collaboration entre les différents professionnels impliqués dans le placement sont essentielles pour assurer une prise en charge globale et adaptée au bébé, bien comprendre les défis rencontré par la famille et favoriser la continuité à un niveau systémique. Les professionnels de la protection de l’enfance, les travailleurs sociaux, les psychologues, les pédiatres et les éducateurs de la petite enfance doivent travailler ensemble pour comprendre les besoins spécifiques du bébé et élaborer un plan de soins adapté qui peut inclure des prises en charges thérapeutique spécifiques pour le bébé (psychomotricité relationnel, thérapie du développement , etc…) mais aussi une prise en charge spécifiques de la relation parent/bébé et donc des interactions (intervention avec vidéo feed-back, Theraplay) et des soins spécifiques de santé mentale pour les parents informés de l’attachement et de la psycho-traumatologie. Enfin, il convient de ne pas oublier la dimension social, s’assurer que le parent a les ressources pour être en sécurité lui-même (logement, travail ou éducation, protection d’un partenaire violent …) Il n’est pas impossible de considérer que la collaboration interprofessionnelle pourrait améliorer la qualité des soins et réduire les traumatismes chez les enfants placés.
Pour conclure
Les bébés placés suite à des faits de négligences ou de maltraitance peuvent présenter des réactions émotionnelles importantes qui doivent être comprises et traitées de manière appropriée. Les professionnels de la protection de l’enfance doivent être formés pour offrir des interventions individualisées et adaptées aux besoins de chaque bébé, en prenant en compte leur expérience de vie antérieure et leur contexte actuel. Les programmes d’intervention précoce, les interventions psychothérapeutiques et la promotion d’une relation d’attachement sécurisée entre le bébé et ses soignants sont des pratiques qui ont été proposées dans la littérature et qui peuvent être efficaces pour aider les bébés placés à s’adapter à leur nouvel environnement. B-Families en partenariat avec le centre de formation Humagogie propose un catalogue de formations 100 % en ligne, ciblées et interactives pour former les professionnels et les aider à répondre spécifiquement à tous ces défis.
Alexandra Deprez
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